Gomei : noms poétiques

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Gomei : noms poétiques

Message par Leaf » 02 Mars 2016, 19:50

Maintenant que j'ai une excellente raison de m'intéresser davantage au matcha et à la culture entourant la cérémonie de thé japonaise... :siffle:


Je viens de tomber sur cette intéressante tradition japonaise de donner un nom poétique à ses ustensiles (généralement ceux entourant la cérémonie du thé -- chasen, chawan, chashaku entre autres, mais pas que), nom dont on se sert ensuite pour établir un thème, une ambiance particulière pour ses invités, pour appuyer la solennité du moment.

Certains noms sont légers et humoristiques, d'autres plus austères et sérieux. Certains sont liés au passage des saisons, à la nature, d'autres rappellent le souvenir d'une personne ou d'un lieu, d'autres encore évoquent un souhait pour les invités ou pour la personne à qui l'ustensile est offert.

Mes infos glanées sur le net s'arrêtent là, mais je n'ai aucun doute que certains d'entre vous s'y connaissent mieux. ^^ Pour ceux qui lisent l'anglais, j'ai :

- Une liste de gomei liés aux saisons
- Une liste de gomei plus austères
- Une superbe réflexion sur le sujet, postée dans le blog SweetPersimmon

Sinon j'aimerais bien vous entendre sur le sujet. ^^ Avez-vous donné des noms à vos ustensiles ? Je pense par exemple aux kyusu de Niva... Alternativement, avez-vous vu ou acheté des ustensiles qui possédaient déjà un nom ? Que pensez-vous de cette tradition, vous attire-t-elle ou vous laisse-t-elle froid ?

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Re: Gomei : noms poétiques

Message par Niva » 02 Mars 2016, 19:57

Leaf a écrit :Maintenant que j'ai une excellente raison de m'intéresser davantage au matcha et à la culture entourant la cérémonie de thé japonaise... :siffle:


Je viens de tomber sur cette intéressante tradition japonaise de donner un nom poétique à ses ustensiles (généralement ceux entourant la cérémonie du thé -- chasen, chawan, chashaku entre autres, mais pas que), nom dont on se sert ensuite pour établir un thème, une ambiance particulière pour ses invités, pour appuyer la solennité du moment.

Certains noms sont légers et humoristiques, d'autres plus austères et sérieux. Certains sont liés au passage des saisons, à la nature, d'autres rappellent le souvenir d'une personne ou d'un lieu, d'autres encore évoquent un souhait pour les invités ou pour la personne à qui l'ustensile est offert.

Mes infos glanées sur le net s'arrêtent là, mais je n'ai aucun doute que certains d'entre vous s'y connaissent mieux. ^^ Pour ceux qui lisent l'anglais, j'ai :

- Une liste de gomei liés aux saisons
- Une liste de gomei plus austères
- Une superbe réflexion sur le sujet, postée dans le blog SweetPersimmon

Sinon j'aimerais bien vous entendre sur le sujet. ^^ Avez-vous donné des noms à vos ustensiles ? Je pense par exemple aux kyusu de Niva... Alternativement, avez-vous vu ou acheté des ustensiles qui possédaient déjà un nom ? Que pensez-vous de cette tradition, vous attire-t-elle ou vous laisse-t-elle froid ?

:high5:
Moi qui pensait être la seule frappadingue sur cette planète à donner des noms à mes objets de thé :mrgreen:
Proverbe touareg :
"Le premier verre de thé est amer comme la vie.
Le deuxième est aussi doux que l’amour.
Le troisième est aussi apaisant que la mort."

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Re: Gomei : noms poétiques

Message par Leaf » 02 Mars 2016, 20:08

Ben c'est l'occasion ou jamais de nous les présenter, de nous parler de ces noms et de nous dire ce qu'ils signifient pour toi ^^

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Re: Gomei : noms poétiques

Message par Kyara » 02 Mars 2016, 20:16

Leaf a écrit :[size=65]Que pensez-vous de cette tradition, vous attire-t-elle ou vous laisse-t-elle froid ?

J'aime beaucoup. Je trouve cela très stimulant, et j'ai toujours beaucoup apprécié l'exercice lors des temae.
:thup:
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Re: Gomei : noms poétiques

Message par Romuald » 02 Mars 2016, 20:17

Excellent sujet !
Effectivement je donne des noms à mes plus beaux objets. Ces noms sont pour l'instant souvent liés à des saisons. J'ai une théière de Mars que je nome aussi la petite nébuleuse (en référence aux motifs à sa surface), une théière d'automne, un bol d'automne, un grand gaiwan (ancien bol couvert japonais) que je nome le mélancolique.
Par ailleurs j'évite scrupuleusement un certain vocabulaire que je trouve très technique et peu poétique voir franchement laid comme "faire une session", "endurance", "tea ware", "tea boat", "ustensiles"...
Il faudrait faire un concours des termes les plus sympas pour designer les gestes et les objets du thé. Je suis sûr qu'ici on trouvera de belles idées.

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Re: Gomei : noms poétiques

Message par Leaf » 02 Mars 2016, 20:32

Kyara, je serais assez intéressé par une description de la façon dont se passe l'exercice. L'auteur du blog de SweetPersimmon mentionne que son prof leur demande (aux élèves) de réfléchir à des noms poétiques, mais de quelle façon est-ce inséré dans le cours ensuite ? Dois-tu nommer un ustensile qui t'appartient, ou proposer un nom (ou une série de noms) à la classe dans un contexte particulier, ou... ?

Joli Romuald sinon ! J'aimerais bien que tu nous présentes ces objets que tu as nommé. :D Surtout ta petite nébuleuse puisque j'ai toujours eu une grande attirance pour l'espace, les étoiles et autres objets célestes (référence à ma petite période où je voulais devenir astronome). :wub:
J'avoue sinon n'avoir jamais vraiment réfléchi au vocabulaire que j'emploie pour mes comptes-rendus -- je cherche avant tout des termes qui seront compris (y'a déjà la barrière de la langue québéco-francophone, je vais pas en rajouter en plus :mrgreen: ) mais c'est vrai qu'il y a des termes que j'aime moins et que j'évite si je peux... rétro-olfaction par exemple...

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Re: Gomei : noms poétiques

Message par Kyara » 02 Mars 2016, 20:49

Leaf a écrit :Kyara, je serais assez intéressé par une description de la façon dont se passe l'exercice. L'auteur du blog de SweetPersimmon mentionne que son prof leur demande (aux élèves) de réfléchir à des noms poétiques, mais de quelle façon est-ce inséré dans le cours ensuite ? Dois-tu nommer un ustensile qui t'appartient, ou proposer un nom (ou une série de noms) à la classe dans un contexte particulier, ou... ?

C'est tout simple. Pour résumer, les étapes d'une petite séance, c'est:
- amener les "ustensiles" (désolé Romuald), les purifier
- préparer le matcha, l'offrir à l'invité(s), qui prendra le temps d'examiner le chawan (après avoir bu)
- re-nettoyer,
- présenter (si l'invité le demande) chashaku et natsume/chaire, à l'invité, qui prendra le temps de les examiner et se renseigner sur le style et l'artisan.
A ce moment l'invité demande le nom du chashaku...
- emporter les ustensiles.
Voilà, en très très très résumé.
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Re: Gomei : noms poétiques

Message par Romuald » 02 Mars 2016, 21:12

Kyara,
Ustensiles n'est pas le pire ;) je l'utilise parfois, je dois l'avouer...

Leaf,
J'accepte de montrer la théière d'automne (à glisser dans le sujet "théières") car elle a déjà une vie (photo) sur le net. Pour les autres, même si ça peut paraître étrange, je réserve ces objets à mon intimité et au partage avec mes invités. Ils ont une dimension particulière et une histoire que j'ai du mal à partager sur un écran.

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Re: Gomei : noms poétiques

Message par Leaf » 02 Mars 2016, 21:22

Romuald a écrit :Pour les autres, même si ça peut paraître étrange, je réserve ces objets à mon intimité et au partage avec mes invités. Ils ont une dimension particulière et une histoire que j'ai du mal à partager sur un écran.

Ça ne me semble pas étrange du tout. ;) J'ai des objets comme ça que je garde pour moi, pas spécifiquement pour le thé (quoique) mais plutôt ce que j'appelle mes "talismans" -- des petits objets que je garde sur moi ou près de moi, mais que je montre rarement aux autres. Souvent des pierres ou des figurines, qui m'ont été offertes par des gens qui me sont chers ou que j'ai trouvé dans des circonstances particulières.

Quoiqu'il en soit, c'est une jolie théière qui est très originale et qui porte un nom qui lui ressemble. Elle me fait penser à une grosse pierre qui se trouve sur le chemin où je passe souvent, ou à l'écorce d'un jeune érable. Merci de la partager avec nous. :-_-:

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Re: Gomei : noms poétiques

Message par vincent F » 03 Mars 2016, 07:53

Romuald a écrit :Excellent sujet !
Par ailleurs j'évite scrupuleusement un certain vocabulaire que je trouve très technique et peu poétique voir franchement laid comme "faire une session", "endurance", "tea ware", "tea boat", "ustensiles"...

Il serait certes intéressant parfois d'éviter les anglicismes, il est toujours possible de trouver un équivalent français qui ne sonne pas trop mal. Pour ce qui est de la "laideur" du vocabulaire, heureusement que vous dites : "que je trouve".
Et certains mots ne sont pas plus techniques qu'ils sont commodes, et appropriés( propriétés qui définissent un mot technique c'est sûr...après, tout est une question de cadrage, de contexte, de niveau discursif).

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Re: Gomei : noms poétiques

Message par Lara » 03 Mars 2016, 08:35

Il y a de bons passages portant sur les gomei dans Le maître de thé, de Yasushi Inoue. Je chercherai les citations plus tard dans la journée et les partagerai sur ce sujet.

Je viens d’une famille de ‘nommeurs’, donc je baptise par habitude les objets que j’aime ou utilise régulièrement. En revanche, je ne perçois pas ce ‘nom’ comme étant une donnée stable : en quelque sorte, c’est le mot qui me vient de manière spontanée pour désigner l’objet, et ça peut très bien changer.

C’est tout à fait normal d’avoir des réactions épidermiques à certains termes. Pour ma part c’est plutôt ‘dégustation’ qui me fait tiquer. Ustensile, au contraire, j’aime beaucoup, je lui trouve une connotation de précision sympathique.

Merci pour les liens, Leaf !

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Re: Gomei : noms poétiques

Message par Sébastien » 03 Mars 2016, 09:13

Je ne suis pas un nommeur, à vrai dire aucun de mes ustensiles n'a de nom, sauf un : un chashaku taillé et calligraphié par un maître.

Comme l'a expliqué Kyara, à la fin du temae, les invités peuvent demander à voir natsume et chashaku, on appelle ça Haiken.

l'hôte met à disposition ces 2 objets à ses invités, puis leur laisse le temps de les observer à loisir.
quand ils ont fini, l'hôte revient dans la pièce et donne des informations plus précises sur les objets : type de laque, origine géographique, nom du laqueur, nom du motif sur natsume, puis pareil pour chashaku : nom de la personne qui l'a taillé, est-ce un bambou particulier, et quel est son nom poétique.

voici mon seul objet "nommé" :
DSC_0099.jpg

Shimitake Chashaku (chashaku en bambou tâché), son petit nom est "Kissako" (boire le thé et s'en aller").

Kissako (Jap., ‘drink tea’). Zen saying, derived from Chao-chou Tsʾung-shen, to emphasize that Zen is not divorced from the ordinary process of life.
Matcha ga mainichi, ishya wa tôku ni
抹茶が毎日、医者は遠くに

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Re: Gomei : noms poétiques

Message par Kissaki » 03 Mars 2016, 10:50

Kissako... pfff, une pâle copie :roll:

Joli n'empêche!

Bon moi je ne nomme finalement pas les objets de thé que j'utilise. Ca ne me vient pas naturellement donc voilà... je n'ai rien contre ceux qui le font en revanche!




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Re: Gomei : noms poétiques

Message par Blossom » 03 Mars 2016, 11:03

Je m'étais un peu aventurée sur cette voie, au départ parce que je trouvais ça très froid, fastidieux, sur mon carnet de dégustation de noter le détail du pedigree des ustensiles utilisés.
Par exemple, "kyusu nosaka réduction 120ml" est devenu Otōsan puisqu'il m'a été offert par mon père.

Mais je n'ai pas persisté parce que le japonais n'est pas ma culture, et que dans cette démarche, j'y mettais du cœur et pas google traduction. :/
In case of doubt, boil it out

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Re: Gomei : noms poétiques

Message par Lara » 03 Mars 2016, 11:04

INOUE Yasushi, Le Maître de thé. Traduit du japonais par Tadahiro Oku et Anna Guerineau. Stock (1995). 1981


Tout d’abord, on trouve [dans le « Catalogue de Jukô] une présentation des meilleurs ustensiles, en commençant par les pots : Mikazuki, Matsushima, Shijukoku-on-tsubo, Matsuhana, Sutego, Nadeshiko, Sawahime, Yaezakura, Hashidate, Kisakata, Jikô, Hyogotsubo, Yaotsubo, Kokonoe, Torasaru, Shirakumo, Susono, Sôgetsu, Shigure, Jôrinstsubo, Chigusa, Miyama.
Chacun fait l’objet d’un historique avec l’origine de leur nom, ainsi que des indications sur ce qui leur est advenu. Le simple fait de recopier ces noms m’a replongé dans le monde du thé et dans un étrange état d’excitation.
L’un de ces pots, « Hashidate » (faire le pont), appartenait autrefois à Maître Rikyû ; je ne sais quel fût son destin après sa mort mais j’ai eu l’impression de retrouver une vieille connaissance. « Pot de sept kin : forme et couleur indescriptibles. Propriété de Sôeki. Puisque c’est ce grand Maître qui en fait usage, inutile de préciser qu’il convient parfaitement pour le thé. D’après une légende, il aurait été fabriqué dans la région de Tango, mais serait d’une qualité telle que sa notoriété dépasserait les frontières de la province ; on l’aurait donc nommé ‘Hashidate’, ce qui est à la fois le nom de la cité célèbre et signifie ‘faire le pont’. » Selon une autre légende, lorsque Monsieur Higashiyama en fit l’acquisition, il n’aurait même pas consulté la notice qui accompagnait l’objet, et aurait emprunté ce nom à un poème célèbre : « Je n’ai pas encore reçu la lettre, à Hashidate. » Je me rappelle mon Maître évoquant ces légendes.
[…]
En recopiant le nom de tous ces ustensiles, j’ai mesuré combien, en temps de troubles, non seulement les hommes, mais les objets aussi avaient du mal à perdurer.

pp.50-52

—Il y a une chose que je voudrais vous montrer, dit Monsieur Oribe avant de sortir pour revenir aussitôt. Vous ne connaissez pas ceci, Monsieur Honkakubô. »
Tout en parlant, il me passa une spatule et son étui cylindrique. Je me penchai pour les contempler.
« C’est mon dernier souvenir de Monsieur Rikyû. Il confectionna deux spatules, à Sakaï : une qu’il me donna, et l’autre qu’il offrit à Monsieur Sansaï. »
Ma main fut prise d’un tremblement que je ne pus réprimer : cette spatule, à la forme simple et modeste, représentait-elle donc la dernière volonté de mon Maître ? L’étui, lui, avait sans doute été fabriqué par Monsieur Oribe. C’était un étui cylindrique, laqué à l’intérieur comme à l’extérieur, avec une fenêtre carrée au milieu.
— Quel est son nom ?
— ‘Larmes.’
— Est-ce Maître Rikyû qui l’a nommée ?
— Non ! Il n’aurait jamais donné un nom aussi grave. Il était très doué pour trouver des noms, personne ne savait le faire mieux que lui… D’une manière claire et sèche, tel un vent frais léger. »
Il avait raison. Je faillis lui demander qui avait trouvé ce nom, mais je me tus car personne d’autre que lui-même n’aurait pu trouver ce mot, si lourd, de « Larmes ».
« J’ai entendu dire que la spatule de Monsieur Sansaï se nomme ‘Vie’. Mais il est difficile d’approcher une chose digne de porter un tel nom, aussi je ne l’ai pas encore vue. En tout cas, je comprends qu’il l’ait appelée ainsi : chaque jour, il s’installe face à un objet aussi précieux que sa vie même. »
Je compris moi-même alors que Monsieur Oribe se mettait sans doute chaque jour face à un objet reçu de Maître Rikyû, qu’il considérait comme ses propres larmes… je pris à nouveau l’étui en main, et en le fixant du regard, je m’aperçus qu’il dissimulait en fait une tablette funéraire pour mon Maître… Je suis certain que chaque jour, Monsieur Oribe prie devant cette spatule, ou tout au moins le faisait-il du temps du Taïko Hideyoshi ! Je constatai ainsi que je n’étais pas le seul à prier pour Maître Rikyû. Je dus encore me contenir pour ne pas pleurer… Je ne sais si Monsieur Oribe se rendit compte de mon trouble, mais il me dit alors :
« Il était vraiment très doué pour donner des noms ! Vous connaissez le bol rouge de Chôjirô, appelé ‘Hayafune’ (bateau rapide) ?
— J’ai entendu ce nom mais je n’ai jamais vu ce bol.
— C’était la quatorzième ou peut-être la quinzième année de l’ère Tenshô, je ne me souviens plus exactement, car il y a longtemps, déjà, j’ai savouré un thé servi dans ‘Hayafune’ chez Monsieur Rikyû, avec Messieurs Ujisato et Sansaï…
« La cérémonie du thé se tint à l’aube, au palais du Taïko Hideyoshi, dont nous étions les trois invités. Un certain bol de Raku apparut pour la première fois : grand, la lèvre légèrement recourbée vers l’intérieur, le pied bas, de couleur rouge à l’intérieur et à l’extérieur. Toutefois, un imprévu dû à la chaleur du four lui a laissé une tache bleu-vert sur sa partie externe, une particularité intéressante. Il avait un air ample, somptueux et autoritaire, qui coupait le souffle des invités. Monsieur Sansaï s’empressa de demander l’origine de ce bol à Monsieur Rikyû… Ce dernier répondit qu’il se l’était fait envoyer de Corée par bateau rapide afin de pouvoir l’utiliser dans cette cérémonie du thé !
« Il va sans dire que nous décidâmes alors de le nommer ‘Hayafune’. C’est une manière très poétique de nommer quelque chose… Monsieur Rikyû prenait beaucoup de plaisir à cela et le nom était juste. Il nous a fait croire que ce bol de Chojirô avait été apporté par bateau rapide… […]

pp.68-70

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