Ai Weiwei

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Ai Weiwei

Message par derz » 12 Avril 2015, 18:37

Bonjour à tous,

dans ma présentation, je faisais état de ma visite au splendide musée ethnographique de Dahlem à Berlin. J'y ai acheté le catalogue d'une expo intitulée « Chine et Prusse – Porcelaine et thé » qui s'y est tenue au deuxième semestre 2012 et dont il reste quelques traces dans la collection permanente, notamment la Maison de thé d'Ai Weiwei qui me tient lieu d'avatar.

Dans les messages qui suivent, je vous joins les scans originaux du catalogue (en allemand) et mes traductions ainsi que quelques photos. La traduction est une activité chronophage, je vous ferai donc parvenir les trois pages de l'article sur cette œuvre en trois parties. La première que voici, peut-être la moins intéressante, est une présentation générale du Pu-Er, la suite dans quelques jours si j'ai le temps.

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Dans l'exposition « la Chine et la Prusse – porcelaine et thé », la Maison de thé d'Ai Weiwei (voir photo) symbolise le thé, de manière pour le moins massive : elle pèse plus de 3,5 tonnes et mesure 180x120x180 cm. Ai Weiwei, né en 1957 à Pékin est certainement l'artiste chinois le plus connu actuellement. Il a créé cette œuvre en 2009. Constituée de cubes et de prismes de Pu-Er compressé sur un tapis de thé, , elle compte parmi les œuvres les moins politiques d'un artiste habituellement très engagé politiquement. C'est à la générosité de Dieter et Si Rosenkranz que nous devons d'avoir la Maison de thé au Musée d'art asiatique ; ils la mettent à la disposition du Musée en prêt permanent.


Avec cette Maison de thé, ce sont 3600 kilos de thé qui sont rentrés au Musée d'art asiatique. Et pas trois tonnes et demie de n'importe quel thé, mais de Pu-Er. Ce thé vient initialement de théiers sauvages des forêts de la Province du Yunnan, située au Sud-Est de la Chine, dans la région de Pu-Er, préfécture de Xishuangbanna près de la frontière birmane, une région habitée en grande partie pas les minorités Yi et Hani. Il s'agit d'un thé vert, le brun foncé du produit fini, appelé vieux Pu-Er, que l'on peut observer sur la Maison de thé, résulte d'un processus de fermentation. Le traitement d'un bon Pu-Er requiert du temps, plus d'une année. Il en existe plusieurs sortes, mais la plus répandue est le Pu-Er compressé sous forme de brique ou de galette. Le thé Pu-Er est prisé depuis des siècles et a été exporté dans toutes les provinces de l'empire, notamment au Tibet. Étant compressé, le thé était facilement transportable à dos de cheval, d'âne ou de mule. Le voyage à dos d'animal durant souvent des mois, le thé n'en était que plus compressé et de meilleur qualité. Alors qu'il vaut mieux boire d'autres types de thé rapidement après la cueillette, le thé Pu-Er se bonifie avec l'âge et peut être bu au bout de 20, 50 ou 100 ans.

Pour l'exposition « Porcelaine et thé », la Maison de thé est présentée avec un trône impérial chinois et un service « Chine-de-commande » produit spécialement pour Frédéric II. Le grand trône impérial (voir photo) et son paravent (voir photo) en laqué noir incrusté de nacre des années 1700 constitue un des sommets de la collection. Depuis le début du XVIII° siècle, les récoltes les plus fines des meilleurs Pu-Er étaient envoyées chaque année en tribut à l'empereur depuis les contrées les plus reculées et les plus exotiques de son empire. On peut très bien imaginer l’empereur Qianlong (qui a régné de 1736 à 1765) assis sur ce trône ou sur un trône semblable, buvant du Pu-Er dans une tasse en fine porcelaine. Cet empereur Qialong offrait en outre du thé Pu-Er à ses hôtes venus de pays lointains, comme George Macartney, qui a rendu visite à l'empereur en 1793 en sa villégiature de Jehol en tant qu’ambassadeur du roi d'Angleterre George III et a reçu entre autres cadeaux 40 tongs (?) de Pu-Er. Pendant tout le XVIII° siècle, le thé Pu-Er a été exporté en grandes quantités vers l'Europe depuis Canton. Frédéric II pourrait donc en avoir bu, peut-être même dans une des tasses du service qu'il avait également fait venir de Canton.

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Message par derz » 12 Avril 2015, 18:43

la couverture du catalogue

00-couv.jpg

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Message par derz » 12 Avril 2015, 18:46

La Maison de thé

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Message par derz » 12 Avril 2015, 18:47

Le trône
trone.jpg


Le paravent

paravent.jpg

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Message par derz » 12 Avril 2015, 18:49

Le texte original de la 1° partie

02.jpg

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Re: Ai Weiwei

Message par Théokineko » 12 Avril 2015, 20:58

Et qu'est ce qu'il est bon dans la tasse ce pu'erh ? :-)

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Re: Ai Weiwei

Message par Étienne » 13 Avril 2015, 10:56

Merci beaucoup pour le partage ! Je savais pas que le puerh en Europe était aussi ancien. (C'était vraiment du «pu erh» d'ailleurs ? Ou c'est une acceptation un peu large ?)

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Re: Ai Weiwei

Message par derz » 14 Avril 2015, 21:03

La suite (partie 2)


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Frédéric II appréciait le thé et fit construire à Potsdam un pavillon de thé chinois (voir photo), alors que le thé était à l'époque quelque chose de nouveau en Prusse. En Chine, la consommation et la culture du thé étaient déjà répandues dans tout l'empire dès la dynastie Tang (618-907 après JC) et faisaient partie intégrante de la vie à la cour impériale. Il existe une riche littérature sur la culture du thé en langue chinoise notamment des ouvrages importants datant de l'ère Tang, pensons par exemple à la première monographie consacrée au thé de par le monde, le Chajing, le livre du thé de Lu Yu (728-804), rédigé en 760, ou encore au poème Qiwan cha, sept tasses de thé, de Lu Tong (mort en 835). D'innombrables poèmes ont été écrits sur le thé, mais celui de Lu Tong est le plus célèbre. C'est un assez long poème comptant de nombreux vers. Tous les Chinois cultivés en connaissent par cœur huit vers situés dans la partie centrale. Ces huit vers sont souvent présentés séparément et intitulés Le chant des sept tasses de thé, un poème qui aurait certainement plu à Frédéric II s'il en avait eu connaissance.

« La première tasse humecte ma gorge et mes lèvres
La deuxième chasse ma mélancolie
La troisième irrigue mon âme en profondeur et abreuve les mots desséchés d'innombrables livres
La quatrième suscite une légère suée et fait transpirer tous mes soucis à travers mes pores
La cinquième purifie ma chair et mon sang
La sixième me transporte au royaume des Immortels
Je ne parviens pas jusqu'à la septième, il me pousse des ailes, un léger vents se lève
Oh Penglai, île des bienheureux, où te trouverai-je ? »

Les illustrations incrustées dans la nacre sur notre trône impérial (voir photo) montrent justement les îles des immortels, dont Penglai, le paradis taoïste, où les bienheureux se laissent soulever dans les airs par des grues et des phénix, où pousse l'herbe d'immortalité et où jaillit la source d'immortalité.

Le thé Pu'er a toujours été emprunt de mythologie et sa renommée n'a cessé de croître avec la renaissance de la culture du thé entamée dans les années 80. Devenant plus précieux en vieillissant, il est devenu un objet de placements et de spéculation, des sommets furent atteints en matière de prix et des quantités énormes de contrefaçons ont circulé. Vers 2007, les meilleurs productions se vendaient jusqu'à 3000 € le kilo. A cette époque, même un artiste à succès comme Ai Weiwei aurait eu du mal à se payer le luxe de créer une œuvre de plusieurs tonnes en Pu'er. En 2008, les prix se sont totalement écroulés, surproduction, spéculation, la crise financière mondiale, tout est arrivé en même temps et a fait exploser la bulle financière. Des milliers de spéculateurs ainsi que de producteurs de thé du Yunnan perdirent leur richesse du jour au lendemain, les prix s'écroulèrent jusqu'à ne plus représenter qu'un dixième du niveau qu'ils avaient atteint précédemment.

Ai Weiwei a créé sa Maison de thé en 2009, elle a été exposée la même année dans un musée pour la première fois – le Mori Art Museum de Tokyo. Cette œuvre a beaucoup fait parler d'elle, la Maison de thé passe pour une œuvre majeure de l'artiste. Malgré cela, Ai Weiwei n'a, à ma connaissance, jamais exprimé publiquement quelle était la finalité de cette œuvre ni ce qu'elle signifiait. Pourquoi a-t-il construit une maison en cubes de thé ? Il a bien conçu une autre œuvre en Pu'er, Ton of Tea (2006), qui a été exposée à la Maison de l'Art de Munich. Mais la Maison de thé est soigneusement constituée de 378 cubes de 9 kilos et de 54 prismes pour la pente du toit. Peut-être est-ce parce qu'Ai Weiwei est également un architecte qui a construit des bâtiments remarquables en Chine et ailleurs et ce dans un style minimaliste très proche de la Maison de thé ?

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Re: Ai Weiwei

Message par derz » 14 Avril 2015, 21:06

Le pavillon de thé chinois dans le parc du château de Sanssouci à Potsdam
chinesisches-teehaus-in-potsdam-75a2a9cd-c61f-4010-aef3-3765c790ceab.jpg


Chinesisches_Teehaus_Potsdam_Sanssouci.jpg



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3° et dernière partie à venir si vous êtes sages...

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Re: Ai Weiwei

Message par derz » 14 Avril 2015, 21:09

L'original de la 2° partie
03.jpg

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Re: Ai Weiwei

Message par derz » 15 Avril 2015, 09:13

Troisième et dernière partie:


Alors pourquoi les cubes ne sont-ils pas agencés pour former une maison vraiment solide ? Les bâtiments édifiés par Ai Weiwei, comme son studio personnel à Caochangdi à Pékin par exemple, sont construits de manière très minutieuse en ardoises caractéristiques du Nord de la Chine, une pierre malheureusement de moins en moins utilisée. Malgré son poids, la Maison de thé est assez peu stable. Faut-il y voir un avertissement ? Une maison faite en cubes de pierre ou en cubes de Pu'er compressés ne résisterait pas à toute épreuve et pourrait être détruite par un tremblement de terre ? Ou alors pourrait être rasée sans justification sur l'ordre d'une administration qui manifesterait ainsi son mécontentement envers les personnes critiquant le régime, comme c'est arrivé récemment au studio d'Ai Weiwei à Shanghai ? La cité qu'il a construite à Caochangdi est elle aussi régulièrement menacée de destruction par le gouvernement de Pékin. Ou encore, la forme de cette maison vise-t-elle la spéculation, la marché immobilier chinois ultra tendu, que le monde entier attend fébrilement de voir éclater, car il entraînerait dans sa chute toute l'économie mondiale ? Dans ce cas, la maison en Pu'er serait comme une bulle de savon carrée.

Je ne sais pas si une de ces spéculations est juste et aurait une chance d'être reconnue comme un tant soit peu pertinente par l'artiste. Ce dont je suis néanmoins presque certain, c'est qu'il est juste de dire que la Maison de thé incarne en tant que composition faite de thé noble l'essence ou du moins une des composantes essentielles de la culture chinoise. Cela vaut également pour de nombreuses œuvres en porcelaine de cet artiste, une tendance qui a culminé en 2010-2011 avec l'installation exposée à la Tate Modern : Sunflower Seeds et sa centaine de millions de pépins de tournesol en porcelaine fabriqués en Chine à Jingdezhen, capitale de la porcelaine. Le thé et la porcelaine, les thèmes principaux de l'exposition « Chine et Prusse – porcelaine et thé », représentant tous deux la quintessence de la culture chinoise, jouent ainsi un grand rôle dans l’œuvre d'Ai Weiwei. Il est toujours délicat d'intégrer à une installation sur un thème historique l’œuvre d'un grand artiste contemporain, d'en faire en quelque sorte un accessoire. Lorsque j'ai rencontré Ai Weiwei dans son appartement de Pékin en septembre 2011, je lui ai dit que sa Maison de thé était exposée de manière permanente depuis février 2011 au Musée d'Art asiatique. Il s'en est réjoui et a dit qu 'il viendrait la voir lors de son prochain passage à Berlin. Je n'ai évoqué ni la Prusse ni Frédéric II. J'ai néanmoins confiance dans le fait qu'il nous pardonnera l'association fugace de sa Maison de thé minimaliste avec le pavillon de thé doré rococo de Frédéric II et j'espère même qu'il la saluera comme étant une expérience intéressante.

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Re: Ai Weiwei

Message par derz » 15 Avril 2015, 09:14

Original de la troisième et dernière partie:

04.jpg

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Re: Ai Weiwei

Message par derz » 15 Avril 2015, 09:17

Et le bonus: les 4 théières en Yixing exposés dans le musée:

05.jpg

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Re: Ai Weiwei

Message par Étienne » 15 Avril 2015, 09:55

Merci beaucoup pour le partage !

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Re: Ai Weiwei

Message par Théokineko » 15 Avril 2015, 10:29

La dernière partie est bien intéressante merci !

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